-
sunflower a publié une note il y a 12 années 4 mois
Pierrot le fou
« D’une beauté surhumaine » (c’est Louis Aragon qui le dit), ‘Pierrot le fou’ est un fabuleux poème en forme de film, patchwork littéraire, pictural et sonore, à la fois comédie musicale et bande dessinée – avec, parfois, des dialogues tirés de publicités pour shampoing ou des filtres de couleurs vives aux faux airs de toile de Warhol. Dans ce génial manifeste esthétique, le synopsis ressemble à un pur prétexte, une autorité de pacotille dont se joue la narration libérée, ludique et solaire. Pour les amateurs des Beatles, disons que ‘Pierrot le fou’ pourrait représenter le ‘Sergent Pepper’ de Jean-Luc Godard : une œuvre hétéroclite, gaie et aventureuse, curieuse d’ouvrir de nouvelles pistes. On y suit Jean-Paul Belmondo et Anna Karina dans un road-trip irradiant de poésie, pris en chasse par un gang de tueurs. Il faut dire qu’au centre de ce film trône, récurrent, le fantôme d’Arthur Rimbaud, auquel Godard emprunte de multiples formules (« l’amour est à réinventer », « la mer allée avec le soleil ») et le parcours de sa ‘Saison en enfer’. Cela dit, il arrive aussi qu’on croise Raymond Devos, au bord de la mer, pour un sketch émouvant et savoureusement formaliste. Collant tous azimuts ses références hétéroclites, et tirant sa narration comme on pousse un jeu de mots dans ses retranchements, Godard apparaît plus que jamais ici en grand shaman wittgensteinien du cinéma poético-pop des années 1960. Où le personnage de Belmondo (qui, en fait, s’appelle Ferdinand, pas Pierrot) peut aussi bien se retrouver à lire un essai d’Elie Faure qu’une BD des Pieds-Nickelés. Kaléidoscope à la fois sensuel et culturel, ‘Pierrot le fou’ est certainement aussi le film le plus joyeux de Godard. Et le plus innocent, derrière sa maestria jouissive et son humour corrosif. On aimerait vivre dedans.